Automne.


Une séparation c'est toujours un déchirement. Surtout quand c'est par amour. Je me souviens de tout. De ce cocon humain, si proche de mes sœurs. De l'harmonie, de la joie d'inspirer quelqu'un, de l'accomplissement de ma nature profonde. Nous étions quatre. Quatre muses, quatre représentantes des saisons, des humeurs. Une seule conscience, collective, celle de Mahtrim. Mes sœurs Hiver, Summer et Spring sont encore liées, en lui, sans existence matérielle.

Plus moi. Je suis Automne, muse de la mélancolie, de la transition, de la contemplation. Je n'aurai jamais du exister dans ce monde, si mon hôte, mon bien aimé, n'avait commencé à basculer dans les Arts Noirs. Il ne comprend pas ce que j'ai fait. Il souffre, je le sais, mais c'est pour son bien. Alors que la magie l'animait depuis longtemps, j'ai senti le changement. Son basculement vers les Arts Sombres, le Balaur qui lui parle insidieusement, qui distille son venin mortel en lui, via son esprit. Il doit être bien dépité, à présent, car sans moi, l'esprit de Mahtrim n'a qu'une idée, obsessionnelle : me retrouver. La lente corruption du balaur est stoppée. Pour un temps du moins. A nous quatre, avec mes sœurs, nous formions le centre, le point d'équilibre, le nexus magique au sein de l'homme étrange. Lorsque j'ai sentis le changement, j'ai pris une décision, la première décision individuelle que j'ai jamais eut. J'ai décidé de quitter mon hôte, et de m'incarner dans ce monde.  

Je n'aurai jamais pu y arriver, ni même en avoir l'idée, sans KAISINEL, Seraphin au service du traité de paix. Il me parle parfois. C'est lui qui m'a montré comment tisser des toiles d'illusions avec L'Ôde, et comment m'incarner, lui qui peut prendre n'importe quelle forme. Il me fait confiance, je ne doit pas le décevoir. L'enjeu m'échappe totalement, mais il implique la grande bataille, celle qui rassemblera ou clivera définitivement Asmodiens et Elyséens. Je n'ai pas compris si il souhaite cette bataille ou si il fait tout pour qu'elle n'arrive pas. Il est si étrange. Mahtrim ressemble de plus en plus à lui. Est-ce un bien ou un mal ? Je n'ai pas cette réponse.


Mahtrim


Le petit shugo qui me suivait depuis quelques semaines arrivait à m'arracher quelques sourires de temps en temps. Comment détester ce peuple alors que tout transpire la joie de vivre chez eux. Mon visage était assombris depuis maintenant des semaines, des mois, des années peut-être ? Je ne sais plus, je n'arrive plus à me souvenir. Le shugo ne sait pas ce que j'ai au fond du cœur, ce manque du à celle qui me torture par son absence. Lorsque je l'ai vu, pour la première fois, si belle, si réelle, je n'ai pas compris ce coup de poignard à l'âme. J'ai cru que, pour une fois, mon cœur battait pour une femme, moi qui trouvait d'habitude plus d'intérêt à la compagnie des hommes. Et puis j'ai compris, car la douleur physique était aussi forte que la douleur spirituelle. Elle m'avait quitté, celle qui m'accompagnait depuis ma naissance. Mon autre moi, une partie de mon âme. Peut être la plus pure.

"Automne ? Que... Comment tu as pu...". Elle me regardait, immobile, contemplative, incarnation vivante de ma nature mélancolique, si exacerbée en cet instant. Ses grands yeux verts, tristes, sa chevelure auburn opulente, tombant en cascade sur son corps si parfait, si petit, si fragile. Et tant de force dans l'attitude, le défit, ce petit menton relevé. Elle n'allait pas pleurer, mais elle en avait envie, je le voyais. Je ne me retint pas. Car en cet instant, je compris qu'elle ne faisait plus partie de moi. Après un dernier regard, elle murmura
"Tu comprendras. Un jour. Ou tu mourras si tu n'y arrives pas. Vis, mon amour. Pour l'amour d'Aion, vis."

Automne.


Je le suis depuis quelques temps. Lui et moi, nous jouons au jeu du chat et de la souris. Les rôles ne sont pas clairs. Parfois, je sens la joie en lui, la joie de la chasse. La douleur, aussi. Elle ne partira pas. Pas tant que je ne l'aurai pas rejoins de nouveau. Je l'observe, immobile, perchée sur un arbre, cachée dans son écorce, je l'enveloppe du vent joueur pour le réconforter, je le pousse vers moi, le narguant avec des feuilles d'or tombant sur ses pas. Il est si beau. Chevelure d'argent, teint mat, les yeux bleu-vert, le corps athlétique. Kaisinel m'a bien appris. Je n'ai aucun mal à tisser mes toiles d'illusions, à chanter le changement. Mais Mahtrim perce de mieux en mieux ces voiles magiques. C'est le but. Plus il se tournera vers le spiritualisme, les esprits, la magie des éléments, plus son équilibre sera atteint et les Arts Noirs s'écouleront hors de lui. Il s'en ai fallu de peu. Je le vois à présent. Sa rage explose parfois en particules d'éther. Mais pour la première fois depuis longtemps, il semble s'en étonner. Si je le fuis trop loin, il abandonnera. Si je reste trop près, il me capturera... Cruel jeu que celui auquel on joue tous les deux.... 

Cette nuit est ma nuit. La lune est pleine, elle me réconforte. Par essence, je lui ressemble, changeante, solitaire mais entourée, mélancolique mais joyeuse... J'étais pratiquement en transe, la regardant, ayant perdu la trace de Mahtrim depuis quelques heures. Je me laissait bercer par la douce brise, marchant la tête en l'air, attirée par le chant de l'eau qui coule, qui ruisselle... Je fermais les yeux, sure de ne pas tomber et commençait à me fondre dans le paysage.
Soudain, un bruit furtif me fit tourner la tête. Danger ! Mon cœur décida apparemment que sa place était plus intéressante dans ma gorge, et mon corps était paralysé de peur. Mais je n'eut pas le temps de faire quoique ce soit avant de me retrouver plaquée à terre, une jeune et belle femme entièrement nue assise sur moi !

La situation aurait pu m'amuser si je n'étais pas si désespérée de me faire rattraper par Mahtrim. Mais aucune trace de ce dernier... Ainsi, mon cœur ayant retrouvé sa place habituelle, m'autorisa à parler, bien que d'une voix incertaine.


"je.. euh.. pourquoi.. vous ?..." soupir. "qui êtes vous ? pourquoi m'attaquez vous ?"..
.  
Je n'eut aucun mal à me lier d'une amitié aussi soudaine que surprenante avec cette fille, qui s'appelait Elongwen. Elle me présenta à son tour à une drôle de petite fille, si étrange, si ancienne et pourtant si innocente. Eclevyce. Chevelure d'argent, regard d'ambre...  Je leur confiait tout, pour le cas ou ma mission échouerait. En retour, je leur apporterai mon aide inconditionnelle.





Eclevyce était une magicienne hors pair et sa mélancolie naturelle ne pouvait que me parler. J'écoutais donc son histoire avec un réel intérêt et une compassion non moindre. Je n'avais pas prévu de rester incarnée, mais je commençai à aimer cette vie, cette autonomie.

Mahtrim
Je la traque, sans relâche. Et j'apprend aussi. Vite. Mon point d'équilibre étant rompu, je n'avais pas d'autre choix que de compenser ce manque par un changement radical de magie. Ce ne fut pas simple. Les esprits sont cruel, joueurs, espiègles, curieux... Ils ne vous donnent pas les règles de leur jeu avant de vous forcer à y jouer. Mais, curieusement, aussi pénible que soit cet apprentissage, j'atteint petit à petit une sorte de ... sérénité... J'arrive à présent à invoquer des esprits élémentaires, ils n'ont pas à proprement parler de conscience, mais font partis d'une conscience plus grande. Je me sens moins seul. J'apprécie leur compagnie. La voix qui me parlait depuis longtemps à disparu. Je la sens poindre, à la limite de mes sens, mais elle est comme étouffée. J'ai perdu la trace d'Automne. Je sais, sans trop savoir comment, qu'elle aussi n'est plus seule. Cela me réconforte. J'avoue ne pas savoir ce que je ferai quand je la retrouverai... Et puis j'aide les gens, sur mon passage. Ils m'appellent Daeva. Je n'aurai jamais pensé en devenir un. Je n'aurai jamais pensé en être digne. Même la cérémonie, à Sanctum, qu'on m'a infligé est floue. Mais, même si ces passages sont très courts, je prend tellement de plaisir à voler, à quitter la terre ferme. Je m'en fiche totalement de leur cérémonie idiote, de mes responsabilités, de cette guerre et j'emmerde les Balaurs et leurs manigances... Je la sens de nouveau, si proche... Je ne la laisserai pas m'échapper ce coup ci... Enveloppé de brume, ancré à la terre, guidé par l'eau souterraine, je tisse voile sur voile afin qu'elle ne me repère pas.



Automne et Mahtrim..


Elle ne m'a pas vu, pas senti... Pas cette fois-ci. Mais elle n'est pas seule, il y a deux femmes et un autre homme avec elle. Il semble savoir se battre, il a l'attitude d'un guerrier, il a des armes à feu sur lui....



Je n'ai pas le choix, il faut que je m'abandonne complètement aux esprits, sinon je ne pourrais pas être assez rapide. Je tente quelque chose de dangereux, au lieu d'invoquer un esprit élémentaire, je lui demande de m'investir. DOULEUR. Mon corps n'est pas fait pour supporter ça longtemps.

"Automne ! ça suffit ! Tu me manques trop !"hurlai-je avant de me ruer sur elle, occultant totalement ses nouveaux amis... Une erreur qui me valu ma débâcle.
"pitié, reviens, je t'en supplie, reviens.. Ce vide ne se comblera jamais"

La jeune femme blonde attira suffisamment longtemps mon regard pour qu'Automne s'éclipse à nouveau, mais je me rappellerai longtemps après son sourire mutin et sa phrase sybilline :
"Investit par les esprits, bien, Mahtrim. Inventif et dangereux, mais bien. Débarrasse-toi des derniers poisons en toi..."


Je n'ai plus de souvenir de la bataille qui s'en suivit. Je n'ai que les cicatrices, les ecchymoses comme témoins. Automne est partie, encore une fois. Mes ennemis s'avèrent plus compliqués à définir. Ils me racontent leur histoire, leur rencontre avec ma moitié. Je comprend alors qu'elle fait tout ça pour moi, qu'elle s'est débrouillée pour être entourée, pour me forcer à prendre des mesures désespérées. Je me rend compte de ma corruption, et du salut, peut être à portée de main, pour une fois. Alors je décide de tout leur raconter à mon tour. Ils se défient de moi, c'est normal, mais je comprend le sentiment de vengeance, peut-être n'est-ce pas un sentiment noble, mais il nous unis et permet une plus grande noblesse encore, car nous agissons sur le monde et sur cette guerre. Je sens à présent en moi une autre influence. Masculine. Un Seraphin. Je ne suis pas un élu ou quelque chose du genre, mais lui aussi tisse sa toile, il choisis quelques représentants. Je suis l'un d'eux.

Je suivais a présent la petite troupe hétéroclite, et Eclevyce disparaissait de temps en temps pour suivre une trace mystérieuse.

Et puis il y eut cette bataille à la forteresse d'Eltnen. Des vies brisées, beaucoup. Certaines lointaines, d'autres plus proches. Elongwen en pleur, le cœur brisé. Aucune magie, aucune illusion ne pouvait masquer ça à présent. Mais la vengeance, la vengeance est puissante. OUI !
Je serrais les poings, décidé à mettre mes nouvelles capacités au service de cette vengeance, pour aider mes nouveaux amis.

Tiamat
Enfin ! La voie si longtemps obstruée est de nouveau ouverte! Cette petite peste d'Automne est une épine dans mon échine, une plaie qui ne se referme pas, une trainée que je mettrais en pièce dès que j'en aurai l'occasion. En elle je sens l'influence de Kaisinel, cent fois honnie... Mais ce jeune spiritualiste laisse de nouveau libre cours à sa colère. Le mur est fendillé, les remparts qu'Automne a tissé s'érodent. Pas une victoire, non, il reste tant à faire.. Mais je peux de nouveau murmurer mon poison à travers la colère de Mahtrim... Je suis patient... Il est jeune... Le combat est perdu d'avance pour lui.